jeudi 20 décembre 2012

Vintage: les 24 incontournables.


Le fin du monde est là, pour une certaine parfumerie en tout cas, et comme je lisais dernièrement un article de Now Smell This  sur les vintage qu'un parfumista se doit de sentir, interpellé par certains choix je me suis fait la réflexion: quelle serait ma sélection?  Beaucoup de choses en commun bien sûr, mais de notables divergences quand même, suffisamment pour justifier cette nouvelle liste que j'ai choisi de ranger par ordre de création afin de donner une perspective historique à la chose.
Je sais, la quête du vintage en parfait état est un peu vaine et ruineuse, pourtant connaitre et parfois porter ces grands anciens aide à comprendre et avoir une vue plus large de la parfumerie actuelle. Et pourquoi se priver du plaisir de découvrir un Shalimar pas encore abimé par les restrictions, pleurer sur l'état de l'actuel, ou plus simplement parce qu'un certain style de parfumerie vous correspond mieux qu'un autre?  
Je suis un homme chypré fruité dans l'âme, alors ce n'est pas parce que je flaire le Mitsouko vintage à la ronde que je ne peux pas apprécier une ultramodernité comme Portrait of a Lady : au contraire, varier les plaisirs c'est aussi bien. De toute façon les deux sont amenés à disparaitre victimes de l'économie ou des restrictions : au moins, j'en aurai profité jusqu'au bout !  
Donc voici : 24 incontournables disparus, heureusement en laissant quelques traces, ou défigurés au point de ne plus être reconnaissables voire chefs d’œuvres en péril, bref, des parfums qui ont fait l'Histoire.


(1905) L'Origan de Coty: Deux bases mythiques (des sortes de ready mades à disposition des parfumeurs qui introduisaient subtilement les nouvelles matières synthétiques) : la dianthine, un oeillet ylang très utilisé par la suite,  et iralia autour de l'iris donc, une dose indécente d'héliotropine et voilà l'Origan. Où l'apparition audacieuse du fauvisme en parfumerie par René Coty, parfumeur génial et génie du commerce qui su lancer ses parfums  à grand renfort de publicité et de coups médiatiques.

(1906) Après l'Ondée, Guerlain: Une beauté fascinante, mélancolique et rêveuse qui porte tellement bien son nom. L'introduction en parfumerie d'une matière fabuleuse d'élégance l'anysaldéhyde sur un lit de coumarine, d'héliotropine et d'iris. L’extrait des années 80 est d'une poésie inégalée. 

(1911) Le Narcisse noir de Caron  : La première fois que je l'ai senti j'ai cru qu'on m'avait fait une blague. Une fleur d'oranger santal si animale que c'en est indécent. A sentir au moins une fois pour comprendre que le sale et le floral vont main dans la main. 

 (1917) Le Chypre de Coty: Un autre pierre angulaire de la parfumerie moderne qui donnera naissance à toute une famille, un accord moderne de bergamote, de jasmin et de rose, de labdanum, mousse de chêne, patchouli et muscs. Sa descendance ira plus loin dans le style chypre mais on y sent déjà l'avenir en filigrane. J'aime son intransigeance et sa raideur. 

 (1919) Mitsouko, Guerlain  : Ca me fend le cœur de le mettre dans les vintage mais sans mousse de chêne, il n'est plus lui-même. Depuis sa création il a beaucoup évolué lui aussi : je possède une eau de cologne des années 60 raide animale et musclée qui n'a pas grand chose à voir avec la douceur mousse de pêche de l'extrait d'il y a quelques années.

(1919) Tabac blond, Caron: Ces dames voulurent fumer comme des hommes, Caron leur dédia ce Tabac blond qui mêlait admirablement bien les notes de cuir sec au tabac et à la fumée, autour d'un bouquet floral épicé et bien sûr un fond animal qui lui donnait une signature et un sillage reconnaissable entre tous. L'actuel a perdu cuir et tabac en route, il est sage, bien trop sage.


 (1921) Émeraude, Coty: Ce que j'aime dans le style Coty c'est la brutalité, le débroussaillage à la hache là où Guerlain apportera une finition et des dentelles infiniment raffinées. On dit que celui-ci inspira Shalimar. Son ouverture médicinale est incroyable,  claquant au nez pour finir sur un lit de douceur vanillée poudrée: énorme et typique "parfum de mémé". 

( 1924) Lanvin, My Sin : Que dire d'autre, une culotte en dentelle mal lavée sur floral faussement sage, l'érotisme à l'état pur. L'extrait est divin et l'Eau de My sin un plaisir pervers à porter de nos jours, quand on surprend des regards indécis sur la provenance du fumet douteux.

(1925) Que sais-je? de Jean Patou  Un chypré fruité porté sur la noisette et superbement confortable. De tous, celui-là est sans doute mon préféré. La ré-édition de 1984 pilotée par Jean Kerléo est absolument géniale. A sentir pour comprendre et retrouver les années folles, l'art de la fête, la coupe garçonne et le jazz virevoltant.

(1927) Chaldée, Jean Patou : L'invention de la crème solaire avec l'huile de Chaldée qui deviendra un parfum : un accord solaire et épicé de jasmin et fleur d'oranger usant abondemment du benzyl salicylate d'abord utilisé comme filtre UV avant d'intégrer les flacons de parfums pour son odeur qui rappelait la plage. 

(1928)  Soir de Paris, Bourjois: Un solide accord de rose violette poudrée qui a traversé les ages avec plus ou moins de bonheur jusqu'à la défiguration finale dans les années 90. Emblématique d'une parfumerie française qui s'exporta aux États-Unis devenant Evening in Paris pour hélas finir dans les drugstore aux côté d'Emeraude et de Tabu.



(1932)  Tabu, Dana : D'origine espagnole, Tabu souffrira longtemps encore du sobriquet de parfum de puta, et pourtant malgré l'oriental tapageur et pas exactement subtil ni délicat, c'est un merveilleux ambré alangui, chaud, muy caliente même et encore réchauffé par  ses notes animales, civette en tête. Qui a dit ça sent le cul? 
Allez donc mettre le nez sur le suivant pour tomber dessus.

(1933) Scandal, Lanvin: Mon Graal personnel, le cuir ultime, intransigeant et  radical, mais il faut bien le dire, j'aime quand ça bouscule et quand ça fouette. Mon extrait des années 40 est porté par un iris moelleux qui se marie divinement au cuir et fait se pâmer tous les perfumistas qui ont eut l'heur de le humer. Il diffère cependant de celui senti à l'Osmothèque qui fait la part belle au castoreum et au styrax. Le temps arrondi souvent les angles et les bases chyprées prennent un aspect gras et beurré typique des vieilleries magnifiant ici cette pure beauté.

(1936) Vacances, Jean Patou,: J'ai déjà dit tout le bien que j'en pensais ici. La bonne nouvelle: la maison travaille  a une ré-édition.  Alléluia! J'en parlerai bientôt plus longuement.

(1937) Shocking, Schiaparelli: Un monument d'érotisme languide encore, du temps où l'hygiène nous paraitrait douteuse et où la sensualité se portait en parfum.




 (1944) Femme de Rochas: La fameuse base prunol (qui mettait si bien en valeur l'adéhyde pêche C14) irradie ce chypre épicé de cumin pour une note décidément sale et érotique en diable. L'un des premiers chefs d'oeuvre d'Edmond Roudnitska avant l'épure. Remis au gout du jour en 1989, lifté er relifté par la suite, Femme a de beaux reste mais penche actuellement un peu trop sur le cumin à mon gout.

(1947) Iris Gris, Jacques Fath : Vincent Roubert a créé un mythe. Une dose d'iris à faire frémir mâtinée de pêche radieuse, les deux mis côte à côte forment une harmonie rarement égalée, la grâce tout simplement. Celui-ci, pas la peine de le chercher, à moins d'être Crésus, allez directement à l'Osmothèque. 

(1947)  Le Dix de  Balenciaga : La violette aldéhydée dans toute sa splendeur. Old style bien sûr mais terriblement agréable à porter quand on veut s'enrouler dans un nuage de poudre et de douceur. Avec ses airs cosmétiques, houppette et poudre de riz jamais très loin, une rose sèche dans un vase sur le guéridon à coté, Le dix c'est la robe couture pour soirée de gala.

(1947)  Vent Vert, Balmain : Une surdose de galbanum en tête, typique du style fauve de Germaine Cellier. Difficile de l'apprécier aujourd’hui hélas, le galbanum ne vieillit pas très bien, une intéressante note haricot vert a pris sa place souvent. Réorchestré dans les années 90 par Calice Becker pour un floral vert pas inintéressant, à nouveau reformulé dans les années 2000: aux dernières nouvelles Vent vert tient plus du rince doigt crispant que de la beauté vive et verte d'antan.

(1947) Miss Dior de Dior: Celui-là a subit tellement de transformations diverses et variées au court du temps qu'on ne peut pas en dire grand chose si ce n'est qu'il avait du chien : un chypré d'un caractère différent des anciens fruités, l'accord central est préservé et accentué de notes vertes de galbanum et de géranium. Un équilibre extraordinaire entre les notes, pas forcément très aimable mais décidément et gigantesqement classe. 


(1955) Quadrille, Balenciaga : Le chypre fruité relooké à la perfection. Moins sombre que son grand-père Mitsouko, quasi rieur et dansant : il doit beaucoup à la frambinone (ou raspberry ketone) qui rappelle la peau de framboise duveteuse, un poudré fruité mousse éblouissant. On trouve encore parfois de l'eau de toilette ici et là, mais c'est véritablement l'extrait qui donne une idée de sa splendeur.

(1953) Jolie Madame, Balmain : Une merveille d'accord violette et  cuir, où l'on comprend pourquoi les ionones (note violette) se marient tellement bien à l'isobutyl quinoléine (note cuir) pour former une étrange fleur hybride alliant rondeur et tranchant. Sous la houlette de Germaine Cellier, toujours aussi frondeuse.

(1956) Diorissimo, Dior : LE muguet, surréel et magique, toute la maestria d'Edmond Roudnitska forgeant un style lumineux, une esthétique de l' épure. Diorissimo c'est le printemps en flacon, une légèreté et une transparence inégalée et surtout un équilibre quasi parfait entre le vert la fleur et les racines. Je ne gloserai pas sur l'état de l'avatar présenté aujourd'hui sous ce nom, il suffit de savoir que trois des ingrédients majeurs sont quasi bannis par l'IFRA (lyral, lylial et hydroxcitronnelal) difficile de présenter autre chose qu'une peau de chagrin dans ces conditions.

(1959) Cabochard, Grès  : Sorti après Bandit de Robert Piguet dont il reprend le thème en l'emmenant vers un sommet équilibriste. Il est construit autour d'une matière sensationnelle : l'isobutyl quinoleine cette note de cuir sec, rêche et vert sombre, flanquée d'armoise en tête et de jolie notes florales en coeur pour adoucir un peu ce parfum retors de quand les femmes prirent leur indépendance. Bernard Chant en fit une version masculine en ajoutant du cumin: Aramis, toujours en bonne forme aujourd'hui, préférez-le à l'actuel Cabochard qui lui est devenu squelettique. 



Voilà, j'en ai surement oublié. Dites-moi.
Et il y a celui sur lequel j'ai longuement hésité, devais-je l'inclure ou lui laisser encore une chance? C'est LE survivant, un mythe.  Mais trois fois hélas, il n'en reste plus grand chose aux dernières nouvelles, malgré les affirmations stupides des démonstratrices bien formées selon lesquelles il n'a pas bougé, la formule est la même etc. 
On en reconnait le style, l'esprit est là, mais la chair a bel et bien disparu, aux oubliettes les notes animales du début, la richesse des matières premières couteuses et naturelles. Il avait une tenue démoniaque, un sillage monstrueusement envoutant, aujourd'hui il faut sérieusement s'arroser que ce soit d'eau de toilette ou d'eau de parfum, pour pouvoir tant bien que mal retrouver son aura et la tenue est une misère. On pourra gloser sur l'adaptation, la mise au gout du jour, Chanel N°5 est en train de disparaitre. Souhaitons juste que ce ne soit qu'une mauvaise passe et que l'actuelle direction de Chanel saura lui donner un peu de corps, bientôt cent ans quand même! 


Photo: Tamara de Lempicka
Illustrations: publicités de parfum














dimanche 2 décembre 2012

Detchema, Revillon 2012.



Quand en flânant dans une boutique de parfums rares parisienne bien connue, tout en discutaillant de-ci de-là avec les amis présents ce jour là, reniflant d'un nez distrait une touche ou deux, l'on tombe en arrêt sur un flacon qui semble vous faire de l’œil et que dans un frisson d'extase l'on murmure: floral aldéhydé ! 
Puis, Detchema ... (avec une pointe d'accent russe et la toque en fourrure de lapin blanc en tête ). 
Où l'on apprend ensuite au détour d'une conversation avec la dame exquise et excentrique à souhait ayant eu la bonne idée de relancer ce parfum oublié, que le mot detchema vient en fait d'une déesse tibétaine de la joie dont le nom signifie "qui apporte le plaisir". Et ça, je veux bien le croire, vu le plaisir que j'ai justement à le porter depuis quelques jours que le froid mordant vient figer la ville endormie.

Detchema est donc de retour, qu'on se le dise. Un revenant des années 50 qui avait tant bien que mal traversé les décennies suivantes avant de plier l'échine devant les bombes orientales survitaminées des années 80 et le désert propret des années qui suivirent. Un floral aldéhydé comme tant d'autres avant, mais avec cette touche d'innocence qui le rendait printanier, guilleret presque. Il intègrait à l'époque les nouvelles matières disponibles et rajeunissait les grands anciens en incorporant de jolies notes vertes rieuses.

Une tête d'aldéhydes pétillants, d'agrumes et de pêche qui donnent le ton. Le cœur, floral bien sur, s'enrichit donc de notes lactées fraiches et tendres de muguet  et de jacinthe pour un effet transparent et humide qui se mêle magnifiquement à de la rose. Plutôt un effet de rose d'ailleurs, la sensation tactile, la texture et l'épaisseur d'un tissu couleur chair, secondé par un jasmin qui lie muguet à l' ylang crémeux. Un bouquet abstrait tout en finesse qui repose sur un solide fond onctueux  de notes boisées, santal et vétiver pour la structure, d'iris qui le glace et l'enracine, de crémeux coumariné, d'ambre et de musc.

Un parfum matière: un drapé parfait, la richesse et l'élégance, l'onctuosité la suavité de monuments comme le N°22, le même genre de classicisme, moins dramatique et mystérieux peut-être, mais la luminosité et l'éclat cristallin en plus. Je le perçois définitivement de couleur chair, un velours pêche moelleux, un bas de soie beige peau, une main qu'on dégante dans un crissement quasi électrique: soyeux, confortable et  sophistiqué. 

L'on m'a assuré que la résurrection est bien fidèle à l'original, la formule n'a pas été remaniée et l'ensemble est à vue de nez respectueux du Detchema d'antan. A l'heure où le N°5 de Chanel, l'archétype du floral abstrait, subit une sévère cure d'amaigrissement, devenant de plus en plus bancal, cette résurrection est la bienvenue et offre une alternative  plus que décente pour les afficionados de jus classieux, un poil hautains et détachés du monde mais tellement moins racoleurs que les parfums guirlande de Noël qui sortent à tour de bras. 
Pour les femmes qui disent non à la facilité ou les gars téméraires dans mon genre qui n'ont pas peur du décalage.



Photo: Joana Lumley dans la peau de Purdey (Chapeau Melon et bottes de cuir). 
Detchema est disponible à la boutique Jovoy, rue Castiglione à Paris.

jeudi 22 novembre 2012

Bois d'ascèse, Naomi Goodsir




Les nouvelles marques pullulent ces derniers temps et il est parfois difficile de s'y retrouver tant l'offre de mouillette sous le nez est énorme. Faire le tri entre le coup marketing savamment orchestrés à coup de money money et la démarche créative sincère s'avère vite nécessaire pour ne pas s'épuiser  et se lasser de ces lancements  qui finissent par un peu tous se ressembler. Quiconque avec un peu (beaucoup) d'argent et l'ambition de se faire une place sur le marché juteux des e-parfumeurs, peut facilement acheter une formule, un concentré à une société de composition et lancer son nouveau joujou à coup de paillettes et de plus ou moins bling bling. Enrobez le tout d'une histoire d'authenticité et de vocation passion et le tour est joué. 
Parfois le processus créatif est plus ambitieux et le client au lancement d'une nouvelle marque de parfums passe commande à un parfumeur créateur voire fait appel à un parfumeur indépendant avec qui il ou elle peut travailler en plus étroite collaboration, le résultat  plus qualitatif et innovant que l’achat de ready mades réserve de temps à autre de belles surprises, et ce n'est pas le nez fouineur parfumisto de son état qui s'en plaindra. 

Je ne connais absolument pas Naomi Goodsir, une designeuse et créatrice de chapeaux australienne formée par un mystérieux "protégé" d’Elsa Schiaparelli, et j'avoue sans peine avoir un peu soupiré à l'idée de tester ses deux créations: "c'est quoi ça encore ..." Elle arrive cependant précédée d'un brouhaha nommé buzz, le lancement à Pitti Fragrance il y a quelques mois a fait parler d'elle et les jus seraient, untel me l'a dit, digne d'intérêt voire plus si affinité. C'est donc avec un minimum de circonspection mais une relative curiosité que j'ai mis le nez sur les deux parfums de dame Goodsir. 
Tous deux ont été créé par Julien Rasquinet  jeune parfumeur au curriculum intéressant puisqu'il fut élève de Pierre Bourdon, a travaillé sous l'aile de Christine Nagel pour Mane, avant de se lancer dans l'aventure de l'indépendance.  Et à sentir ses deux dernières créations, en collaboration -commandes de Naomi Goodsir donc, ça lui réussi plutôt bien.
Le premier, Cuir velours,  est un cuir oriental comme son nom l'indique doux et feutré, avec de savoureuses notes d'abricot (l'effet rhum sans doute pour mon nez) qui finit un peu gourmand et sirupeux sur ma peau mais reste un joli travail sur la matière et pourrait facilement rejoindre la harem des amateurs de tabac cuirés.


Bois d'ascèse le second,  est quant à lui une belle claque dans le nez, un travail très original sur la fumée et le bois. Le parfum débute sur des notes de têtes quelques peu déstabilisantes, on ne sait pas trop sur quel terrain elles vont nous mener, mais qui très vite laissent place au thème principal: la combustion. 
L'ascèse, comprise comme méditation et recherche d'un au-delà de la forme humaine, qui plonge aux origines du parfum, le fameux per fumum, la fumée ascétique, la fumée purificatrice, le bois sacré et l'essence divine. 
Nous voguons donc aussi bien parmi les aborigènes d'Australie utilisant cendres et suies pour leurs peintures rituelles, que vers les mystiques flamands tels Maitre Eckhart prônant le dépassement métaphysique de soi comme une fumée s'élève et se sépare du bois. 

Le parfum fait la part belle au bois de cade,  une variété de genévrier dont on extrait une huile qui est ensuite pyrogénée : peu utilisée en parfumerie, pas franchement aimable, sèche, brûlée, goudronneuse et très intense, elle en forme le pilier central en quelque sorte.  Le cade est accompagné d'encens de Somalie (les deux forment à mon nez une étonnante note céleri), de tabac (relevé pour une pointe de cannelle), ambré grâce au ciste labdanum et asséché d'une touche de mousse de chêne, révélant ainsi la facette cramée de l'evernyl, une matière synthétique qui remplace et soutient désormais la mousse de chêne bannie.

C'est un parfum de grands espaces, loin de la petite fumée d'intérieur et de l'âtre cocon, c'est au grand air que se joue la musique de ce bois. J'ai des images de champs dévastés par le feu, de brulis,  de moignons calcinés, l'odeur froide des cendres et de la suie. Autour se greffent des sensations de whisky tourbé sortant d'un vieux fût de chêne, de pipe froide, de thé du tigre, un thé fumé taïwanais, et par moment aussi la nette impression de sentir la saucisse de Morteau il faut bien le dire. 
C'est avant tout un parfum émotionnel, de "j'ai déjà senti ça" qui m'évoque une vieille veste en cuir élimée qui sentait la fumée au retour du jardin où l'on faisait bruler des feuilles mortes. Bref, un parfum on l'on se sent bien, qu'il convient d'habiter, qui invite à l'intériorité et au recueillement. 


Les parfums Naomi Goodsir sont disponibles chez Nose à Paris, rue Bachaumond, la nouvelle boutique de niche hype à visiter et sniffer à loisir.
Photo: Uluru Ayers rock ; Feu de camp peinture de Winslow Homer






mercredi 14 novembre 2012

Je Reviens, Worth 1932.


Parfois ça colle d'emblée entre un parfum et soi. Parfois il nous déçoit. Mais rarement l'admiration , le transport nous saisissent devant la poésie simple et limpide qui semble si évidente qu'on croit l'avoir toujours connue, qu'elle était là, dans notre enfance, quelqu'un surement portait ce parfum-ci. 
Je Reviens de Worth est de ceux-là, il porte en lui la promesse d'un retour qui se fait attendre et je me surprends rêveur à divaguer sur ses notes délicates et poudrées. 
C'est un parfum de facture plutôt classique, presque commun, comme une mélodie qu'on a cent fois entendue  mais que toujours on prend plaisir à fredonner parce que justement elle est simple et paisible. Un genre de berceuse. 
Il fait en quelque sorte partie de mon inconscient olfactif collectif.  L'aura florale duveteuse de grands-tantes élégantes mais pas chichiteuses, l'élégance des classes moyennes en parfum du dimanche. Mamie bisou qui a sorti son renard pour un repas de famille dominical, la poudre aux joues et le rouge à lèvre de traviole. Tendre c'est le premier mot qui me vient à l'esprit en plongeant le nez dans ses effluves. 
Une tête typique d'aldéhydes et d'agrumes qui font une aimable transition vers de jolies notes de lilas, de jacinthe, narcisse et rose en parterre, tapissant le cœur floral un peu vert  d'une fraicheur  qui contraste avec la douceur surannée de la violette, de la fleur d'oranger et de l’œillet qui suivent.  


Historiquement on est dans la même famille que Quelques fleurs (Houbigant) ou Fleurs de Rocaille (Caron): le bouquet. Techniquement, des parfums qui reposent sur un accord devenu classique de salicylates (très présentes dans l'ylang-ylang par exemple, ils offrent un panel du vert un peu camphré au floral solaire assez caractéristique) en combinaison avec de l'isoeugénol pour former l'oeillet central,  un pivot entouré de ionones pour la violette, de vétiver, de santal, de coumarine apportant charpente et structure au cœur, le tout avec aldéhydes et notes vertes en tête, et muscs en fond. Ces fameux muscs nitrés assez présents qui donnaient une suavité et une rondeur incroyable aux fonds poudrés et mettaient magnifiquement en valeur les cœurs floraux aldéhydés.
Ce type d'accord  (salycilates/ eugénols) sera par la suite simplifié et magnifié dans L'air du temps, qui aura lui-même une descendance riche allant de Fidji à Anaïs Anaïs. Et l'on peut mesurer le drame de cette parfumerie classique quand on s'aperçoit que la plupart des matières qui la constitue, des matières qui ont fait l'histoire, sont soit simplement interdites, réglementées ou en passe d'être interdites par l'IFRA. Ce que l'on sent aujourd'hui est plus proche de l'hologramme que des originaux, sans mentionner que tous ces parfums contenaient beaucoup de  naturels qui leurs donnaient de la chair et de la richesse.


Mais dans les années 20/30 la maison de couture Worth sous la houlette de deux frères Jean Charles et Jacques, est florissante. Une série de parfums aux noms poétiques voit le jour dès 1924, toute une histoire : Dans la Nuit (1924) / Vers le Jour (1925) / Sans Adieu (1929) / Je Reviens (1932)  / Vers Toi (1934).  
« Dans la nuit, juste avant l’aurore, parce que je ne puis supporter de te dire au revoir, je reviens vers toi. » (J'entends toujours la voix de Delphine Seyrig en lisant cette phrase). 

Une approche olfactive originale, une recherche artistique jusque dans les flacons signés Lalique pour des compositions alliant romantisme  et modernité parisienne (nous sommes en plein Art Déco), Je Reviens est un immense succès avant la guerre. Cadeau rêvé des soldats américains sur le retour, synonyme d'élégance au moins autant que le N°5, il deviendra plus populaire pour les générations suivantes jusqu'à finir dans les drugstore. Commercialisé bon gré mal gré depuis sa création par  Maurice Blanchet, il a subit moult ajustements de formule, de flacons depuis l'original Lalique. Hélas bien sûr, il est devenu une horrible petite chose à coup de restriction budgétaire et de reformulations drastiques, la version Je Reviens couture de 2004, difficilement trouvable aujourd'hui, est a priori plus fidèle à l'original, mais si vous le pouvez: procurez vous une version vintage, l'eau de toilette plus charnue que la cologne qui a du bien souvent remplacer le savon, bien conservée elle réserve encore des trésors d'extases pour des sommes modiques. Et l'on n'en meure pas.

jeudi 8 novembre 2012

Réplique de Raphaël, 1944.


Dans la catégorie parfum totalement oublié mais ayant eut son petit succès par le passé, voici Réplique de Raphaël. Créé en 1944 donc, pour une obscure maison de prêt-à-porter.
Le petit flacon d'extrait que j'entame aujourd'hui est encore vaillant pour son âge, une texture impressionnante, une épaisseur et une richesse qui font rêver.  C'est un moment toujours un peu magique où l'on descelle le bel endormi qui s'est tassé, concentré avec le temps et a donné aux anges une bonne part de son alcool. Parfois d'un jus noirci on ne retire rien du tout, d'autres fois on tombe raide et l'on est quitte pour un voyage olfactif à rebours.
 
Alors, que dit-il celui-ci ?  Des aldéhydes forcément ouvrent le bal, il a du y avoir des notes plus fraiches qui n'ont pas résisté, probablement aussi des notes herbacées et aromatiques. J'enchaine directement sur le cœur floral lui aussi bien tassé et assez indistinct. Des traces de salicylates, d’ylang-ylang  et de lactones tubéreuse. Un muguet un peu vert et du mimosa qu'on devine  ici fantômes, quoique cette touche poudrée pourrait bien venir de là et de la coumarine. Et oui, c'est assez miraculeux comme un parfum peut se déployer soudainement, on le croyait foutu et le voilà qui s’aère, respire et dévoile sa magie.

Héliotrope et vétiver c'est ce que je sens, sur une base mousse moelleuse et rêche qui lui donne une élégance, un fondu et un moiré absolument délicieux. La base est également très patchouli et animale et la présence de muscs nitrés apporte un velouté infiniment plus délectable que les récure-naseaux lessiviels appelés muscs aujourd'hui. Le musc ambrette, irremplaçable, était peut-être toxique mais il avait cette qualité olfactive inouïe de donner de l'ampleur, de l'animalité poudrée et de l'élégance aux compositions. On pense aux anciens cosmétiques un peu gras , aux poudres libres sur fond de teint avant d'entrer en scène, couvrant en douceur les relents de savon douteux. J'ai l'image d'une belle dans un bouge de la butte Montmartre juste après la guerre, de la gouaille, du bagout et l'art de faire oublier en claquant les talons sur les pavés, que la vie n'est pas rose et qu'elle est salissante.
C'est superbe. 
Plus je le sens, plus je suis transporté. 
Et, apothéose, des notes de cuir s'en mêlent et illuminent de leur présence sensuelle vert sombre (la mythique iso butyl quinoléine qui a fait Bandit ou Cabochard entre autres) ce parfum qui donne magnifiquement la Réplique ! 
Atmosphère, atmosphère ! ? 


Photo: Publicité années 60 et photo perso.

lundi 5 novembre 2012

Déclaration d'un soir, Cartier




Dans le désert qualitatif de la parfumerie de masse actuelle où la créativité semble inversement proportionnelle au nombre de jus qui sortent, on a rarement de bonnes surprises, rarement mais parfois.
Les test consommateurs ont remplacés la prise de risque et la plupart des "parfums" mis sur le marché sentent bon l'ennui de parfumeurs lessivés par le manque d'originalité, de prise de risques des décideurs et par la multiplication d'essais bidons pour arriver au plus petit dénominateur commun de la parfumerie: la copie de ce qui marche déjà et la surenchère. Plus de sucre, de fruits, de lessive pour des jus par ailleurs anorexiques. 
Le marché est devenu à ce point cynique que la plupart des acteurs sont parfaitement conscient de ce qu'ils font et l'avouent même en coulisse: pourquoi se préoccuper de la qualité d'un jus qui sera oublié dans six mois, l'objectif est de faire un maximum de pognon. Point.
Désespérant? Disons que l'espoir fait vivre, alors quand un mainstream se distingue et sort un peu du lot c'est le moment de se dire que tout n'est pas perdu. 

D'un autre côté on ne peut que constater également que les marques dites de niche fleurissent et poussent comme des champignons, alliant souvent concepts plus ou moins fumeux et jus totalement inintéressants voire hideux.  Et à vue de nez, on sent souvent le recyclage de formules qui n'ont pas passé les tests consommateurs. La niche n'est donc pas forcément gage de qualité non plus.

Dans ce paysage, Déclaration d'un soir, le nouveau masculin de Cartier est un cas intéressant. Il s'agit d'une rose épicée (poivre et une belle note de cardamone en tête) et boisée, la pyramide mentionne le santal, j'y sens plutôt une rose qui patchoulise en fond avec des notes vaguement boisées, on ne coupe pas aux classiques aérateurs du type Iso E super et Hedione. A priori donc, une sortie osée pour un parfum mainstream:  la rose pour homme, il faut y croire. 
Le thème n'est cependant pas inconnu des niches, de Paestum rose (Eau d'Italie) au plus récent Portrait of a Lady (Editions de parfum Frédéric Malle), il y a longtemps que le floral masculin n'est plus un tabou et qu'il a su séduire, de la tradition moyen orientale au néo bobo hype et métrosexuel. Il joue également sur la tendance actuelle qui a d'abord séduit la niche: le néo-oriental combinant rose et bois (sans dire son nom, il surfe sur la vague du oud synthétique qui a envahit l'espace olfactif).
Déclaration d'un soir semble donc tirer parti du meilleur d'une parfumerie plus confidentielle et le rendre accessible au plus grand nombre, nous montrant ainsi que la frontière qualitative est parfois mince entre la production de masse et l'exclusif: il aurait très bien pu sortir sous une marque moins accessible. 

L'audace est néanmoins limitée par la sortie sous forme de déclinaison d'un classique de la marque, ce n'est pas le nouveau grand masculin de Cartier, on garde quasiment le même flacon et le nom est décliné.
Bref, on peut saluer cette sortie potable et portable parmi tant de médiocrité et apprécier l'effort de créativité tout en reconnaissant qu'il n'est pas férocement novateur. 
Mention bien mais peut mieux faire donc, ce qui est déjà un exploit en soi. 


Photo: James Franco photographié par Terry Richardson. 

jeudi 1 novembre 2012

L'ambre c'est chiant.





Je suis en ce moment en pleine crise ambrée, les températures descendent, l'hiver pointe son nez et semble vouloir parfois passer devant l'automne chypré, et la main, le nez cherche déjà au matin le parfum chaud et enrobant qui gardera le moral au beau fixe malgré le vent et la grisaille. Mais, car il y a un gros mais: l'ambre c'est chiant. Ni ma peau sucrante ni mon nez sucrophobique ne l’aimons: monolithique, lourd, pesant, sucré, douceâtre, vanillé gâteau jamais très loin...
Oui  mais d'un autre côté c'est chaud, enveloppant, rassurant, réconfortant, bref l'ambre c'est la doudoune de la parfumerie, pas forcément très élégant mais terriblement confortable et efficace.

Mis à part les fougères qui sont un peu mon enfer personnel, c'est la famille olfactive qui me résiste le plus à ce jour et je n'ai encore jamais craqué, pas un flacon. Des orientaux à la pelle (Oui je porte Émeraude en extrait, Bal à Versailles, Tabu, et autres vieilleries énormes et lascives) mais pas un ambre.  Et pourtant ce n'est pas ce qui manque en parfumerie de niche, chaque maison se doit d'en avoir un, sultan, russe, précieux, impérial de préférence.
Donc me voilà à nouveau, comme tous les ans je crois, en tests intensifs avec peut-être l'espoir qu'un Ambre quelque chose vienne rejoindre les quelques TUUUT flacons qui envahissent mes appartements. 
Voici donc une sélection, non exhaustive, de mes préférés, ceux qui pourraient bien avoir l'insigne honneur de me parfumer.

Ambra Nera, Framacia SS Anunziata:  Il porte bien son nom, sombre et aromatique d'entrée, j'aime beaucoup sa densité: les herbes  et  l'eucalyptus du départ en font un cousin proche du vénéré Émeraude de Coty, le fond vanillé benjoin se fait plus caramélisé et moins sucré collant que prévu. Roots et pas mal du tout: en haut de la liste des candidats potentiels. 

Ambre Sultan, Serge Lutens: Forcément, c'est un peu le mètre étalon, sec et sexy, toujours intéressant. D'une rare élégance et d'un équilibre quasi parfait entre la sécheresse des notes aromatiques qui semblent l'embraser et la couche goudronneuse de benjoin labdanum vanille qui ronronne en fond comme une voiture racée ancienne. 

Ambre Extrème, L'Artisan Parfumeur: Parce que c'est le plus sec tout simplement, celui qui sucre le moins sur ma peau. Presque poussiéreux et d'une tenue exemplaire, il a une intéressante note "playdoh", mais évidemment peu évolutif et un peu lassant à la longue pour qui aime les parfums voyages.

Ambre précieux, Maitre Parfumeur et Gantier: Pas le plus aimable au départ mais curieusement très habitable ensuite, moins collant et mélasse que d'autres, plus axé baume du Pérou (en gros une énorme dose de benzyl benzoate) que vanilline. L'élégance chic un peu vieillotte de papy moustache mais tellement mieux que tous les twist branchouilles qui sortent à tour de bras (Amber Oud chez By kilian, Ambre Doré du même Maitre Parfumeur et Gantier).



Et vous, quel est votre Ambre préféré? Et ne me parlez pas d'Ambre antique de Coty que je n'ai jamais senti, celui-là est hors concours d'office: c'est le fondateur, l'archétype.  


Photo: peinture de F. Hundertwasser "black girl".

jeudi 25 octobre 2012

Le Maroc pour elle, Tauer Perfumes




Andy Tauer est un parfumeur suisse qui a su séduire la blogosphère dès ses premières créations en 2005 et les critiques plus que favorables de Luca Turin dans sa bible des parfums ont sans doute aidé également à faire d'Andy un indépendant un peu culte au même titre que sa compatriote Vero Kern. Adulés pour leur audace et leur liberté créatrice, leur générosité et relative disponibilité pour échanger, répondre et entretenir le lien avec leurs afficionados, ils ont acquis un statut un peu à part.

J'ai découvert L'air du désert marocain et Lonestar memories lors d'un séjour en Californie et la puissance de ces deux brûlots odorants m'a tout de suite captivé: se promener dans le Topanga Canyon en cuir créosote de Lonestar c'est inoubliable, Joshua Tree park avec l'Air du désert Marocain: idem. Il n'en fallait pas plus pour me changer en adorateur des orientaux en technicolor et autres encens d'Andy.
Par la suite les nouvelles sorties de Herr Tauer m'ont moins séduit, avant de quasiment rendre ma carte de Tauerofan avec les Pentachords, d'incompréhensibles mélanges chimiques terriblement brutaux et agressifs en contradiction avec la qualité des matières notamment naturelles de ses premières créations. Et puis, au hasard d'une journée "pioche dans la boite à échantillons", je tombe sur Le Maroc pour elle, le premier parfum sorti avec l'Air du désert, conçu comme son pendant féminin, et là: quelle surprise! Éliminé trop vite il y a longtemps, je suis sous le charme à présent. 


Un départ en fanfare qui donne le la: une mandarine juteuse et pétillante passe rapidement pour laisser la place aux véritables héroïnes, la rose et surtout le jasmin, riche, profond, animal, relevé par une intéressante touche de lavande.  Floral certes mais contrebalancé par les notes boisées du cèdre de l'Atlas (forcément!) et légèrement épicé d'une cannelle discrète. 
Bien sûr c'est un Oriental et les baumes qui entourent la cœur opulent d'absolue de jasmin et de  rose marocaine  laisse deviner la richesse du fond à venir.
Un fond particulièrement dense: du patchouli bien présent cerné de notes poudrées sèches, de musc légèrement animal qui répond aux indoles du jasmin, de bois (le cèdre courre jusqu'au fond), un crémeux poudré du style santal boosté au cashmeran et à l'ambrox.  Soit, un parfum sensuel et chaud, chaleureux, épais sans être étouffant, et à l'image du Maroc que j'ai découvert récemment: souriant, accueillant, roublard et doté d'une tchatche à toute épreuve. Un parfum bavard et enveloppant.  

Le Maroc pour elle possède un fondu, une patine qui fait penser à un parfum ancien, un vintage un peu madéré. Et une vague sensation d'être dans une échoppe indienne pleine d'encens fumants.
 Nous sommes loin de la  classe d'un Guerlain grande époque (celle d'Aymée) ou de la maitrise technique d'un Dominique Ropion pour le compte des Editions Frédéric Malle par exemple, c'est un peu brut de décoffrage et un chouïa over the top comme disent les anglosaxons, mais j'y sens une authenticité, une sincérité qui me touchent. De belles matières généreusement dosées, Tauer ne lésine pas sur le naturel,  font que ses créations sont très confortables et qu'on a  le sentiment "d'en avoir pour son argent". 
Ajoutez à cela une tenue de dingue et un sillage assez monstrueux qui rappelle les orientaux des années 80...
Le Maroc? Quelque part entre le nag shampa, cet encens indien bien connu, et l'Origan de Coty. Bref, dépaysement assuré.




vendredi 19 octobre 2012

Rose Etoile de Hollande, Mona di Orio





Mona di Orio avait le talent certain de créer des oeuvres poétiques et délicates d'une sensibilité hors du commun. J'ai mis beaucoup de temps à succomber à ses potions que je trouvais d'abord trop chargées et parfois brouillonnes pour finir par entrer dans son imaginiare avec sa Vanille de la Collection les Nombre d'Or, la plus belle vanille que j'ai jamais senti. 
Mme di Orio a quitté ce monde il y a plus d'un an hélas mais elle a laissé derrière elle le parfum sur lequel elle travaillait et qui est sorti il y a quelques mois. Il porte le nom d'une rose, plus exactement d'un cultivar de rosier créé au début du XXème siècle par un hollandais, très odorante et souvent d'un beau rouge vif. Sa retranscription parfumée par Mona di Orio est un bien bel hommage à la reine des fleurs.

D'entrée la messe est dite, c'est une rose, sans conteste. Et plutôt réaliste, frémissante et délicate: la qualité des matières et notamment de l'absolue de rose bulgare et de rose turque est absolument délicieuse. Elle s'orne d'une peau de pèche, d'une touche d'aldéhydes qui la soulève et la pare d'une aura rêveuse à souhait. Déjà pointe une légère inflexion cireuse ou plus exactement fruitée poupée (et je suppose apporté par une matière, le datilat qui sent la poupée Barbie neuve). Un beau géranium amène des notes vertes, le cèdre et le clou de girofle l'épicent un peu. La vanille de Madagascar, le benjoin et la baume du Pérou, tous trois chargés en notes baumées et douces, apportent à l’Étoile de Hollande une assise poudrée suave sans jamais plonger vers le sucré ou le doucereux. 



Et pourtant il y a quelque chose d'étrange, plus l'on s'enfonce dans cette rose éthérée plus elle semble devenir artificielle. C'est un peu un parfum "alla Tim Burton": la jolie jeune fille révèle soudain son étrangeté et l'on comprends alors la léger malaise qui nous habitait depuis le début.  Cette Étoile de Hollande plonge donc vers le pastel teint de poupée sans se départir de sa note verte qui se révèle chlorophylle et lui donne finalement une odeur gout de malabar en expansion. C'est fascinant et cela force à rester attentif: on ne s’endort pas sur cette rose!  De loin, on aurait pu penser à Nahéma, mais au porter c'est une autre affaire.  Je songe au poème fameux de Verlaine: 

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime...




Merci Mona.

Photos: Flacon de Rose, Étoile de Hollande. Photos extraites du film Alice au Pays des Marveilles, Tim Burton.

lundi 15 octobre 2012

Rêve d'Ossian, Oriza L. Legrand.




L'antique maison de parfum Oriza Louis Legrand officia dès le début du 18ème siècle, parfumant princes,  rois ou empereurs et participant à l'avènement de la parfumerie moderne, avant de s'éteindre dans les années 30. 
Elle renait aujourd'hui de ses cendres en présentant quatre  parfums, inspirés de la gloire d'antan bien sûr: Rêve d'Ossian (1900), Relique d'amour (1910), Oeillet Louis XV (1909) et Déjà le printemps(1920).
Des quatre c'est Rêve d'Ossian qui m'a le plus interpellé : au premier abord en le reniflant distraitement lors des journées Rives de la Beauté à la boutique Jovoy, j'ai, je l'avoue eut un mouvement de recul, pris par surprise.

Une ouverture surprenante, des notes de pin aériennes un peu grasses et métalliques (aldéhydes et terpinéols?), de vieux bois et de mousse sur pierre humide mais qui se réchauffent en douceur, insufflant un  curieux élan  aux parfum qui aurait pu virer rapidement à la fougère classique et ennuyeuse. 
Très vite des noms comme benjoin, oliban, élemi résonnent en tête, et l'on songe aux onguents, aux baumes et aux bois chauds qui parfumaient les cours d'antan. 

Une odeur d'armoire ancienne, de linge flottant, de draps de lin propre, de maison de campagne, les matières se fondent  sans se départir de cette impression quasi mélancolique  d'aérien. Une odeur de papier chaud légèrement ambré, de reliure en cuir sec presque poussiéreux. Une impression de lande à l'automne également, d'ostie sur le bout de la langue. Autant d'images qui me viennent à l'esprit en le sentant, revenu au calme de mon antre parfumée.




En rêvant d'Ossian, j'entends les chants islandais antiques d'un scalde hirsute, besace en bandoulière et robe de bure sillonnant de mystérieuses forêts en discourant aux fées et autres farfadets facétieux. Au loin des corneilles en comité bavassent dans les peupliers et j'imagine sans mal Goethe au coin du feu frissonner en lisant les histoires d'amour impossible des dieux nordiques, de nains barbus et d'elfes éthérés.
Et même si l'on sait bien qu' Ossian n'a probablement jamais existé et est le fruit de l'imagination d'un poète britannique du 18ème siècle, le souffle ossianique m' emporte comme il emporta les romantiques dans son courant. 

Et  plus touchant encore, Rêve d'Ossian  me parle d'une parfumerie d'antan, surannée, le temps où des maisons comme Houbigant créaient des parfums du nom de Bois dormant, Au matin,  et où Mlle Chanel n'avait pas encore jeté la parfumerie dans l'abstrait et même, où les classiques fougères, chypres et orientaux n'avaient pas encore été inventés. Une parfumerie figurative où les premières matières synthétiques faisaient timidement leur entrée. 

Vraiment un beau travail de résurrection de cette maison totalement oubliée, les parfums sont tous de qualité et les flacons magnifiques, ils sont à la fois modernes dans leur traitement et complètement fidèle à l'esprit d'époque: une vraie réussite.


Photos: tableau d'Ingres Le rêve d'Ossian 1813; publicité 1906. 


 

dimanche 12 août 2012

7ème Sens, Sonia Rykiel.







Il y a des terrains sur lesquels il est dangereux de s'aventurer de nos jours: le powerhouse années 80 est de ceux-là. Surtout quand c'est Sonia Rykiel aux commandes, celle qui inventait alors la "démode", les coutures apparentes et les premiers pulls à imprimés lettres.
En 1979, elle sort son premier parfum, réalisé par Françoise Caron : 7ème sens, "un parfum mystérieux, sombre et sensuel pour une femme moderne et aventureuse".  Tout un programme.

La pyramide est typique de l'époque c'est-à-dire chargée:
Tête:aldéhydes, bergamote, ylang-ylang, rose, oeillet,  jasmin et narcisse.  Cœur:  miel, prune et  pêche.  
Base: ambre, patchouli, mousse de chêne, coriandre,  santal, vétiver, civette, musc et castoréum.

Soit un nuage de laque en bombe pour commencer, la modération n'étant pas de mise. Suivi par un bouquet dense, épicé, opulent où  se mêlent des fruits murs et juteux, la pêche et la prune du Femme de Rochas ne sont pas loin. Un effet poudré sec du à la frambinone et la mousse de chêne qui entre en scène et rappelle si besoin était que nous sommes en plein chypré fruité, version années 80 c'est-à-dire démesuré. Jusque là tout va bien, la diva hollywoodienne est sous les spotlights.

C'est un parfum de "working girl" qui présente bien, très bien ses plus beaux atours:  épaulettes pour la carrure, robe et lèvres rouge sang, voix  grave et feulante, de l'assurance, de l’aplomb et une vue plongeante sur un entre-sein frémissant. "Fermez la bouche jeune homme!"
Et quand on lève enfin la tête du décolleté pigeonnant, c'est seulement pour découvrir ébahi, un brushing nucléaire, façon Joan collins dans Dynastie.

Soit donc un floral monstrueux, solidement ancré sur son ossature chyprée fruitée qui vire, souvent femme varie,  au fond animal qui disons-le tout net sent carrément le cul par moments: civette et castoreum, il fallait oser. Ou comment découvrir que les sous-vêtements que laissait deviner la robe sang ne sont plus tout à fait propres et que si le bas de la robe est froissé, ce n'est pas pour rien.
Le fond de 7ème Sens, qui fait tout son prix, vire donc quasiment au cuir séchant au soleil, salement animal, poudré sec avec une mousse de chêne indécente et finalement sacrément osée!

Pas vraiment un parfum de jeune fille ou d'américaine hygiéniste, plutôt un parfum de latine à fort débit pour la caricature. Le genre qu'on entend, qu'on sent et qu'on voit arriver de loin, et qui laisse un sillage à décoiffer le chaland. Il démarre claironnant en fanfare et finit sombre bestial. 
Puissance et animalité, la femme Rykiel des années 80 est plus proche de la panthère sauvage qui assume, age et compte en banque, que des jeunistes abonnées aux tutti frutti régressifs et botoxés qui suivront. 
Porté maintenant, difficile d'éviter le cliché couguar mais  7ème Sens fait finalement un masculin intéressant, un rien bling bling saoudien toutefois.
Un parfum qui a du chien. J'adore!

Inutile de préciser que 7ème sens n'existe plus depuis longtemps, et les rares flacons qui apparaissent sur les sites d'enchères atteignent des sommets.
Photo: Joan Collins. 

mercredi 18 juillet 2012

Séville à l'aube, L'Artisan Parfumeur.

Enfin!
Cela fait longtemps qu'on en cause en coulisse, le bruissement du parfumista  aux aguets ayant fait son effet, on l'attendait avec impatience et cela fait des mois maintenant que j’espère porter ce nouveau parfum de l'Artisan Parfumeur à la naissance un peu particulière. Le créateur c'est encore une fois Bertrand Duchaufour,  guidé cette fois-ci, inspiré par Denyse Beaulieu  écrivaine et blogueuse émérite sur Graindemusc et auteure d'un livre relatant la genèse du parfum. Une naissance particulière donc puisque pour une fois, une passionnée de parfum (je donnerai cher pour fouiller ses armoires.. et son frigo) a pu suivre pas à pas l'élaboration, de l'inspiration au produit final, d'un parfum en y insufflant ses références et son histoire.
Je n'ai pas voulu lire le livre de Denyse avant d'avoir pu découvrir Séville à loisir, pour mieux y  coller mon imaginaire; mais mon exemplaire trône sur ma table de chevet attendant son heure. 
L'histoire d'un parfum qui raconte une histoire.


Alors Séville? Forcément c'est une fleur d'oranger, la ville est célèbre pour ses orangers, mais on est  loin du simple solinote. Le parfum est incroyablement dense et fondu, facetté et à mon avis l'une des plus belle création de Bertrand Duchaufour à ce jour.
D'abord un petitgrain citronnier éclatant, une sève verte et brillante, quelques aldéhydes mandarines font briller le tout. De magnifiques notes vertes et fraiches qui semblent suspendues dans l'air et l'on aimerai qu'elles durent toujours. Une ouverture incroyable de maitrise, d'énergie et de vivacité.
Le parfum pourrait prendre le tour d'une cologne, on sent un instant poindre une lavande qui va virer liquoreuse, grâce à la lavande sévillane, très différente de l'idée de lavande que l'on peut se faire: l'absolue est épaisse, vert sombre, résineuse, ambrée et presque cacaotée, cire. Quelques épices corsent le tout, cardamone et baie rose, discrètement, car la star a déjà pris le dessus.

Dès le départ  l'absolue de fleur d'oranger est  présente, en majesté, elle est au cœur de cette histoire, entourée de jasmin et de magnolia, autant de fleurs chaudes et rayonnantes qui évoluent de la fraicheur verte à l'opulence. Et bien sûr oui, je pense pâtisserie orientale, douceur de la fleur des anges réputée pour ses propriétés calmantes. L'anthranilate de méthyle commun a beaucoup de fleurs blanches apporte même ses accents de guimauve. Mais sentez donc de l'absolue de fleur d'oranger et le ton change: narcotique, enivrante, lourde, quasi animale. Et l'on peut faire confiance aux deux complices pour avoir soigneusement su éviter le piège de l'alimentaire et du doudou pour proposer un autre thème: Enfin une fleur d'oranger pour adultes!

Car l'histoire tournerait court si ne venait se mêler à la danse un encens et des baumes, myrrhe et benjoin sur tapis de musc sec qui insufflent une tension entre l’érotisme de la fleur suffisamment indolée et indolante pour nous enivrer et l’ascétisme, la sècheresse de l'encens et des baumes qui s'annoncent, s'avancent en procession dans les rues de Séville à l'aube. Le lien entre les deux c'est la cire d'abeille qui reprend les facettes animales de l'absolue fleur d'oranger et rejoint la myrrhe et le benjoin. Tout se tient. Le fond roule, embaume, s'assèche comme un vent chaud de sable et je chavire et fond dans sa douceur moelleuse et animale. 
C'est pour moi l'histoire d'une nuit torride étourdi de danses gitanes et de flamenco, un réveil sur la plage à même le sable dans les bras d'un inconnu, un peu hagard, il a un peu bavé et l'on respire l'odeur de sa salive sèche.  Autour, c'est la semaine sainte et les processions liturgiques battent leur plein, l'odeur des bougies et des encensoirs envahit la ville. Séville, à l'aube, un bel équilibre entre  l'intimité et la dévotion, sensuel et impertinent. Et une belle sortie pour l'Artisan parfumeur qui encore une fois ose allier audace et portabilité.
Comment ça, y'a pas la mer à Séville?



http://graindemusc.blogspot.fr/2012/02/perfume-lover-et-seville-laube-histoire.html
The perfume lover, a personal history of scent: Denyse Beaulieau