dimanche 24 novembre 2013

Bal à Versailles, Jean Desprez 1962






Dans la série cocotte rondouillarde qui se pavane dans les salons, voici Bal à Versailles, oriental épicé qui ne fait pas dans la demi mesure et empli l'espace, moelleux et velouté façon draperie opulente. Aristo au bal sans aucun doute mais ne nous leurrons pas, elle a beau être attifée pour la fête c'est une sans culotte. La robe peut dégueuler de jupons et de mousselines, cela ne l'empêche pas de se faire trousser en douce derrière une tenture du château. 

Cela dit, ça démarre plutôt sagement sur des notes fraiches et rieuses de bergamote, de mandarine et de néroli. Quelques aldéhydes soulèvent le tout pour donner plus d'allant, presser le pas, car dès l'attaque on sent poindre le tapis persan, le vieux fauteuil poussiéreux et surtout les perruques si chargées qu'elles dégagent des nuages de poudre à chaque mouvement. Passé le portail, d'immenses couloirs qui résonnent, pleins d'encens, de candélabres, de fumée des bougies coulantes et des bruissements de robes sur parquet encaustiqué. Elle n'ose parler trop fort et il fait un peu froid dans la galerie des glaces, mais alors, quand on arrive dans la grande salle apprêtée, c'est des cris de ravissement et les premiers gloussements qui sonnent le début des réjouissances. 

Quelques notes épicées se glissent en douceur sur un floral si fondu que l'on peine à distinguer qui est qui dans ce brouhaha de taffetas broché, de redingotes bleu ciel et de collants qui ne demandent qu'à glisser. C'est riche, capiteux, un fondu d'un classicisme parfait, enveloppé par ce nuage de poudre ambrée qui flotte dans l'air surchauffé, une poudre dorée qui emplit la pièce en nous étourdissant comme après la première quadrille. 

Une mousse sèche, l’opoponax qui revient pour un tour, iris, benjoin, baume de tolu vanillé, cèdre et résines, le fond de Bal est une merveille d'ambre musqué. Car ne l'oublions pas, on ne se lavait pas des masses à cette époque là et la pratique de la surcouche de fards remonte à loin dans le temps. 
Alors que l'eau de toilette est franchement plus poudrée, l'eau de cologne était réputée pour ses notes plus animales, une fourrure de civette se glissant en catimini sous la robe et c'est elle la dépravée sous ses airs de bonne famille.  

Bal à Versailles est un monde un peu oublié, d'une richesse et d'un velouté exquis qui a traversé sans grand bruits les modes depuis sa création en 1962. Parfum emblématique de Jean Desprez, il aurait tout aussi bien pu naître à l'époque de l'Heure bleue où d'Habanita cet ambré fleuri épicé. Un parfum rétro poudré Louis XIV,  parfum de précieuses pas ridicules pour un sequin,  plutôt joyeux et fêtard, qui en fait un peu trop parfois mais c'est tellement bon d'être excessif. 
Même le flacon flasque est au delà du too much avec son icône centrale représentant des dames à chapeau de plumes auréolées d'une douce innocence. Comme beaucoup de survivants, il a subi bien des variations, j'ai un souvenir ému à la pensée du parfum de toilette qui était absolument divin, mais Bal à Versailles a de beaux restes et ce qui ne gâche rien,  coute bien moins cher que tous ces orientaux nichus et ennuyeux. Pas besoin de la ramener pour sentir la cocotte, c'est dans les bas étages que l'on a les bras les plus accueillants. 


Photo: collection perso.



jeudi 10 octobre 2013

Jean Patou 2013, le retour de Chaldée.



Cela se confirme, il y a un dieu de l'amateur de senteurs. Et il réside en Chaldée. 
Le parfum le plus  lumineux, irradiant que je connaisse est de retour, un mythe pour les  férus de parfums solaires, traversés par l'été et le sable chaudDisparu depuis sa dernière édition sous la houlette magique de Jean Kerléo en 1984, le mythe renaît donc de ses cendres mordorées et est à nouveau disponible dans une nouvelle collection créée pour l'occasion. La Collection Héritage  regroupe pour l'instant trois fleurons de la marque : L'eau de Patou, Patou pour Homme et Chaldée. 
A la tête de l'orchestre moléculaire : Thomas fontaine, sur une partition d'Henry Alméras de 1927. 

L'histoire de Chaldée est celle d'un fantasme, celui d'une lointaine contrée  au bord de la mer rouge  abritant les cités de Babylone en plein désert frappé par le soleil et le vent, qui rencontre l'effervescence art déco, les architectures d'André Marre et les années folles, le jazz et la fête à plein temps.  
Ce fut d'abord une huile sur un accord  floral épicé avant de devenir un parfum. Patou le visionnaire imaginait les corps de femmes libérées et Henry Alméras le nez de la maison, leur offrait l'huile solaire. C'était avant, avant que le monoï et les senteurs synthétiques l'Oréal n'envahissent et ne polluent les plages. Quand on venait d'inventer le maillot  de bain et le bronzage après des siècles de teint blafard et laiteux. 

L'huile de Chaldée était une mixture épaisse et rouge, qui ne protégeait rien évidemment mais sentait divinement bon. Le salicylate de benzyle à l'odeur de fleurs chauffées au soleil, d'abord utilisé comme filtre sentait tellement bon en effet, qu'il entra rapidement dans la composition des parfums. Ainsi naquit Chaldée. 

Dense et intense, tassé par le temps, ramassé et cuit au soleil, il illumine son porteur en lui offrant grâce et volupté. Jacinthe, fleur d'oranger, œillet sur les bords et jasmin sur fond d'ambre musqué, cosmétique, mais sans gras, plutôt du côté baume charnel et fondant que de la vanille attrape mouche. La jolie verdeur du départ laisse place à un fleuri enivrant, une petite touche d'indole chatouille et titille la narine agréablement, nous rappelant que la peau nue et exposée au soleil dégage une odeur fleurie, épicée, douce et salée. On reconnait au fond cette sorte de Patounade, ce satiné si précieux qui transporte sur les plages des années 30, une poudre sèche comme un sable fin qui colle à l'épiderme. 

Le nouveau Chaldée 2013 est plus frais forcément, rafraîchi, lumineux toujours et aérien comme au premier jour. Un miracle vous dis-je.  
D'accord, cette  ré-édition n'a pas la note de fond animale d'arrière du genou qui colle, un mélange de vieux savon et de macérat musqué et ce n'est pas plus mal, l'érotisme vieille peau pouvant rebuter au 21ème siècle. 
Et oui, il y a peut-être aussi une note un peu "bac à glace" en tête qui surprend , mais trêve de chipotage !  Thomas Fontaine a fait un travail formidable avec les matières a sa disposition et les normes actuelles. 
Et c'est un bonheur de voir des marques comme Patou reprendre du poil de la bête et avoir l'intelligence de ne pas sortir un shampoing quand elle dispose d'un catalogue aussi prestigieux et mythique. Alors on ne boude pas son plaisir, on ne fait pas la moue, on sourit et on sent bon le sable chaud, Deauville en 36 et les promenades au bord de l'eau.   


C'est mon parfum des soirs d'été alanguis, quand la chaleur tombe et qu'une légère brise caresse la nuque, quand les cigales d'un coup s'arrêtent de chanter et que le calme de la nuit enveloppe le tout d'un voile mystérieux. L'heure des amants. 
L'été indien lui sied bien et l'automne lui va comme un gant, car toujours il rayonne et irradie, enivre comme une journée passée à rêvasser sur la plage,  grisé de liberté, celle des vacances seulement troublées par des éclats de rire. 



Photos : La première est volée à Ambre Gris, par pure jalousie pour son foulard je l'avoue. Sinon, j'ai le même flacon. Et la deuxième, la Collection Héritage. 

dimanche 14 juillet 2013

Lys Epona




Ça y est il est là. On a suivi l'affaire de près sur son  Journal de bord d'un parfum. L'auteur est une amie, on a souvent glosé autour d'un verre de vin charpenté et de tartines de charcutailles diverses des affres du parfumista au pays de glucideland, de nos histoires d'odeurs et de rêves de parfums, des trucs de salive sèche et bien sûr de lys cuiré. 
Dame Cymoril donc, bien connue des forums parfumés, raconta son histoire au tenancier du pire bouge à parfums de la capitale : Jovoy, la boutique de toutes les tentations, sise rue Castiglione à Paris, tout prêt du parc des Tuileries. L'occasion était trop belle, cela sonnait comme un brief, il fallait offrir à cette histoire d'odeurs son écrin parfumé, ce que fit François Henin le propriétaire en décidant de donner carte blanche à Cymoril. La mise en œuvre fut confiée à Amélie Bourgeois et toutes deux de connivence, parfumeuse et muse amusée, ont travaillé à donner corps à ce morceau de vie : un bouquet de lys croisant un défilé à cheval.

Quelle excitation donc de voir éclore un rêve, d'avoir suivi son déroulement comme en reportage sur le vif, et d'enfin découvrir l'objet final prêt à devenir l'histoire de celles et ceux qui voudrons bien voyager sur cette monture. C'est comme  avancer dans une demeure ancienne et de se dire "tiens, j'ai l'impression d'être déjà venu ici", mon imaginaire s'y colle parfaitement. Un tableau de Gustave Moreau sur un mur, une soudaine envie de porter une redingote, un brin dandy écoutant du Bowie : Oh you, pretty thing ! 

Et puis direct crochet du droit, le cuir en pleine face, dans la figure le crottin frais et le souffle du cheval passant fier harnaché surplombé d'un type à casaque hautaine et tout à fait charmant. Derrière, un magnifique bouquet de lys à peine ouverts au bras, passe une femme 1900 à voilette et ombrelle timide, pressant le pas pour sortir de la foule. Un instant suspendu, leurs regards se croisent furtivement, et l'un et l'autre rougissent en tentant de cacher l'émoi. 
La robe qui traine à terre est soulevée pour éviter les honneurs chevalins, un vent de pisse balaie la foule emmêlant la bête et le lys. Puis le bouquet se déploie et la fleur blanche soi disant virginale prend le pas. C'est fini, le cortège s'éloigne ne laissant qu'un souvenir de regard croisé, un  bel inconnu sur son destrier et une apparente frêle jeune fille qui tentent d'échapper aux convenances l'espace d'un instant de liberté.

Ce souffle de liberté et le gout pointu de son instigatrice me baladent entre une rigueur quasi corsetée de cuir et ce juste ce qu'il faut d’excentricité florale pour attiser le flamme et faire battre le cœur. Dès l'attaque des notes vertes contrastent très élégamment avec le cuir, maintenant la fraicheur et la jeunesse du parfum, un air d'innocence et de surprise ; quelque chose de vaguement humide également, l'impression qu'il a plu juste avant le défilé, presque moite.  Jamais le lys ne dégueule son pistil vulgairement, il se sèche à peine de narcisse et de foin maché puis il s'adoucit, se veloute avec le temps, moletonne et c'est là que je le préfère. Le musc  final est simplement envoutant, un tapis sur lequel on se prélasse en gardant précieusement le souvenir toujours présent du regard croisé. Ce parfum est un fantasme.
Le flacon est absolument fabuleux : une vieille chose comme on les aime, habillée de neuf,  et ce bouchon mon dieu, une corolle. Je n'ai pas encore découvert l'étiquette et la boite rêvée par Cymoril mais comme un dandy masquant son impatience dans une pose nonchalante  :  Que dire sinon, je suis charmé.


Le parfum sera incessamment sous peu disponible chez Jovoy, encore un tout petit peu de patience. Il fallait bien un 14 juillet, et le défilé de la garde républicaine pour cet article.
Tableau: Gustave Moreau, Venice.  

mercredi 3 juillet 2013

Tom Ford, Sahara noir.





Le duty free a du bon parfois, quand errant désœuvré en attendant le départ on teste pour tuer le temps. Et me voilà au rayon Tom Ford parfums, noir et or comme il se doit, dégainant la mouillette devant le dernier opus. Et c'est encore une bonne surprise, après le Noir pour homme l'année dernière, Violet blonde l'année d'avant, voici Sahara noir. 
Un parfum sale comme j'aime. Sale et poussiéreux, buriné par le vent brulant du désert, une oasis au milieu des odeurs de lessives fruitées et des insipides jus lavasses. 

Comme toujours chez Ford, nous sommes à un battement de cil du vulgaire, le flacon doré de quasi mauvais gout, le noir du nom idem (soupirs de lassitude), et un jus monumental qui vous remplit un avion en moins de deux. Mais contre toute attente, ça marche. Parce que parfois à force d'en faire trop on atteint une espèce de détachement bouddhique qui nous pare d'une aura de douce sérénité. Et c'est d'ailleurs cette ambiance contemplative qui me séduit ici, comme ralenti par la chaleur du désert, bercé par une fumée d'encens sur fond de baumes et d'ambre, évitant de justesse le collant d'une mélasse au pruneau et le sirupeux d'une confiture de pin mais jouant finement sur la sécheresse tout du long. Un parfum qui a une histoire à raconter, qui me parle. 

Une bouffée d'encens et de résines s'échappe du flacon, et nous voilà écrasés par la chaleur dans un souffle sec d'Iso E super qui soulève le tout. Je vois défiler les cyprès de bord de routes toscanes, les mythiques ziggourat noircies de fumées qui s'échappent de braséros décorés, une vague verte de calamus passe rapidement, de la cannelle en bâtons qu'on jette sur le brasier, un léger fumet animal de cire d'abeille et surtout ce fond qui embaume le tout de benjoin, de ciste labdanum aux accents cuirés et d'une lichouille de vanille plutôt gousse que vahinée. Pas exactement dans la finesse, plutôt du style bazooka olfactif avec une diffusion terrible, mais... je trouve ça incroyablement sexy. 

Comme dans un roman de gare on nage dans le chic trash: madame n'a pas froid aux yeux, adopte un poilu de type viking australien et le ballade en touareg dans le désert marocain. Elle prend des poses de déesse méditante, fait mine de lire du Jane Austen mais ne pense qu'à la robe Léonard qu'elle vient d'acquérir.
Souvent chez Ford, le genre est suffisamment flexible pour qu'on puisse sans rougir passer au rayon d'en face et je me ferai un plaisir d'aller brûler en enfer saharien cet été. 


Photo: La tour de Babel, Brüegel. 


vendredi 31 mai 2013

Mitsouko and co : retour en grâce.




Je reviens d'un long périple au Mexique et qui l’eut cru, Mitsouko sied parfaitement à Mexico ! Le chypré fruité à l'ancienne s'y déploie, rond et chaleureux, aussi mystérieux qu'une pyramide, envoutant comme au premier jour. 
Ce fut donc l'occasion de tester ma dernière acquisition, une eau de parfum RECENTE. Et oui, tout arrive et c'est ma grande découverte du printemps : les vieux Guerlain ont repris du poil de la bête et ont été retouchés intelligemment. Un beau travail pour redonner faste et splendeur à ce monstre de la parfumerie moderne qui dépérissait sur les basses étagères des marchands de senteurs.

Aux dernières nouvelles ce monument était en passe de sombrer dans les oubliettes des parfums massacrés à la tronçonneuse réglementaire. Saccagé par une retouche mal faite, il avait à mon nez l'effet d'une scie sauteuse me vrillant le cerveau, une note extrêmement acide et désagréable qui dissonait et déséquilibrait le tout, l'impression d'une désincarnation, d'un Mitsouko anorexique. Le surprise fut donc énorme quand au détour d'un test dédaigneux errant désespéré dans un supermarché du parfum, de découvrir que, tient, mais il est tout à fait comme il faut, et ô soupir, langueur, mais il est même très bien !

Thierry Wasser, pilote parfumeur du paquebot Guerlain a re travaillé certains des mythes pour leur rendre autant que faire se peut, leur splendeur déchue.  Ainsi pour Mitsouko, il a recréé une base mousse de chêne, puisque la matière a été amputée de certaines de ses molécules allergisantes, perdant ainsi une partie de son odeur de sous-bois caractéristique. Le jeu a consisté à lui redonner les facettes manquantes, tout en respectant les réglementations.

A l'origine le parfum contenait également une infusion de musc, du vrai musc tonkin interdit depuis longtemps, qui avait simplement été remplacée par une dose équivalente de musc synthétique, ce qui n'a pas du tout le même effet évidemment. Wasser a donc refait une base de musc en infusion, flirtant avec les limites réglementaires encore, qui donne une sensation de moelleux que l'on croyait à jamais disparue.

Le résultat: Un Mitsouko moins sombre qu'il n'a été, pas rieur pour autant ne poussons pas, ample, souple et surtout parfaitement portable.

On a tellement glosé, tapé sur les maisons de parfum pour ces reformulations atroces  que l'occasion est à saisir de saluer l'initiative et remercier la maison Guerlain d'avoir redoré le blason de ses anciennes gloires pas tout à fait déchues. Et je me suis laissé dire que le parfumeur a pris beaucoup de plaisir à trifouiller dans les entrailles du monstre sacré. Il a refait non pas deux concentrés ( l'eau de toilette d'un côté et l'autre pour l'eau de parfum et l'extrait) mais trois, un pour chaque concentration, afin encore de coller aux limites.
Nous sommes plusieurs radicaux du chypre à avoir sauté sur l'occasion inespérée de racheter un flacon neuf  et nous pouvons sans moue dubitative arborer fièrement notre Mitsouko nouveau : ne boudons pas notre plaisir !


Photo personnelle : divinité féminine Téotihuacan.

vendredi 19 avril 2013

Antilope de Weil, 1945.



Début XXème, la maison Weil était spécialisée dans les parfums fourrures. Pour un fourreur parisien réputé c'était la moindre des choses. Il y avait eu Zibeline (un bijou de 1928), Hermine, Chinchilla... il y aurait donc cette Antilope en 1945 au sortir de la guerre. En gros, un floral aldéhydé boisé un brin classique et qui pourtant se démarque de ses confrères plus dames par ses herbes et son boisé sec intense et mystérieux, pas si fauve mais bien sec, herbes prêtes à prendre feu, myrrhe suintante d’arbustes clairsemés et un floral survolant le tout, comme une brume de chaleur.   

Où quand la cocotte se la joue Out of Africa. Et telle Meryl décidée, courre la savane pour sauver son amant qui s'est encore fourré dans une histoire pas possible. Un parfum de savane, d'étendue sèche à perte de vue. 

Un iris braisé, confit dans du santal et des bois secs et résineux, un floral compact mettant en vedette les suspects habituels : rose jasmin et une intéressante note jacinthe/muguet qui semble une bouffée d'air frais dans cette torpeur. Un peu d’œillet pour les épices et puis viennent les herbes : camomille, sauge, de ces plantes qu'on croise sur les collines en plein cagnard, desséchées par le soleil et le vent mais terriblement odorantes et envoutantes. On est par instants au bord de l'immortelle cramée, caramélisée safran voire myrrhe mystique. Cette dernière n'est pas mentionnée dans la composition officielle et pourtant c'est bien elle que je sens : épicée sucrée miel, anisée réglisse et légèrement animale. Tiens ? Justement l'animal, l'antilope n'y est pas si imposante que cela, plutôt tapie dans l'ombre,  ou fourrure poussiéreuse du prédateur aux aguets, quasi cuir daim souple et vivant, on sent presque la peau palpiter. 


C'est mon parfum des soirées d'été quand la chaleur tombe et qu'une légère brise monte de la mer pour rafraichir les maisons surchauffées. Le parfum de toilette est parfait, un voyage sans bouger. Et l'extrait ?  C'est le N°5 porté par Hugh Jackmann de retour d'une virée dans le bush australien. Une peau chaude et fleurie, souriante et animale mais qui ne se laisse pas facilement apprivoiser : sauvage et  érotique en diable. Tout moi en somme. 



Photos: Extrait de Out of Africa. Et collection personnelle.

lundi 18 mars 2013

Serge Lutens, La Fille de Berlin


La  cuvée Serge Lutens 2013 est sortie. Et de quoi s'agit-il? 
D'une belle grosse rose rouge qui tâche.

La Fille de Berlin. Elle mange des cerises dans un parc un peu avant l'aube après une nuit moite en boite de nuit. Son cavalier ivre dort sur la pelouse à côté mais elle attend le jour décidée, têtue. Le gars mâchait un chewing-gum menthol, elle tripote distraitement ses mèches blondes en crachant ses noyaux et sa robe est froissée.

Ça démarre métallique et presque froid, camphré. Peut-être de la cardamome, un peu de poivre, le vieux Maître n'aime pas les notes et se tait sur les compositions, nous n'en saurons rien sauf pour la rose qui trône royalement. Mais l'opulence de la reine des fleurs est ici maitrisée, tenaillée, allemande. Une rose habillée, couture, distante, elle est pourpre, vineuse, sanguine,  et les quelques notes vertes ne font pas long feu  laissant place à la touffeur de fleurs froufroutantes qui s'étoffent progressivement en se faisant miellées, presque crasse. (Sans doute une quantité de phenylethyl benzoate une matière que j'adore pour ses accents de miel de rose justement ). 

La Fille de Berlin c'est des cerises, framboises et quelques solides molécules de puissante rose fruitée qui habillent et tiennent le parfum de bout en bout, soutenu par une bonne dose de bois comme il se doit chez Lutens. On craint le pire, tomber dans la sucraille et le collant d'un jus confituré mais non, elle sait se tenir la petite et sa robe noire n'est pas vulgaire. 

L'ambiance expressionniste un peu arrogante, l'éclat du rubis, tout concoure à faire de cette énigmatique berlinoise une fleur amoureuse parée d'une aura distante de mystère et comme sortie tout droit du Metropolis de Fritz Lang telle une vestale lutensienne sortant de la toile, de noir vêtue comme Serge revenant aux origines. Et je pense au mythe Nombre noir et sa débauche de damascones qui augurait dans les années 80 d'une parfumerie excessive, baroque et délicieusement orientale. Un peu brute et épineuse, quasi rock en 2013 Le fille de Berlin a pour moi la voix de Marianne Faithfull chantant Les mystères de l'amour.





(La vidéo est rachitique et frise le hideux mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour illustrer)
Photo: bouquet de rose papa meilland.


vendredi 1 mars 2013

L'Eau de Merzhin


Voilà, ça y est, elle est là, L'Eau de Merzhin.  
Et je n'en suis pas peu fier. 
Difficile d'en parler tant la chose me semble personnelle et en même temps, elle ne m'appartient plus maintenant, d'autres nez peuvent en jouir et s'en délecter. Enfin j'espère. 

Pour ma première incursion de l 'autre côté du miroir de la parfumerie, c'est à  mes racines que j'ai pensé. J'ai passé une bonne partie de mon enfance à gambader dans les prés, à sillonner les bois moussus des campagnes bretonnes et à parcourir à pied les landes mystérieuses des Monts d'Arrée. Autant dire que les  contes et légendes de Bretagne m'ont imprégné dès l'enfance et que j'ai de bonnes racines breizhou. 
Le thème est donc la Bretagne au printemps, la fraicheur des herbes de prés, l'eau qui coule, la terre mouillée, la campagne qui s'éveille, les oiseaux qui pépient, les premières fleurs sauvages qui pointent: douceur et détermination. Mon intention, en sus de me laisser guider par les matières qui ont semblé évidentes à assembler, était d'évoquer un paysage, des souvenirs avec sans doute une pointe de nostalgie. Et puis l'enfance, il y a quelque chose d’enfantin et dans ma façon d'aborder la création et dans le résultat final. 

J'aime les matières naturelles, L'Eau de Merzhin en est gorgée à plus de 70%, de belles matières, des absolues, des extraction CO2 et des huiles essentielles choisies pour leur qualité et leur pureté olfactive. Le résultat : un parfum décalé, intense, tendre ; des notes de tête très vertes,  fraiches et vives qui s'adoucissent pour s'alanguir sur un fond plus sec de foin coupé. 
Galbanum, Angélique,  cassie et feuille de violette pour le vert un peu poudré anisé et aromatique. L'absolue feuille de violette apportant également une sensation de mouillé, d'humide sans avoir eu besoin de faire appel à ces notes aqueuses synthétiques que je déteste.
Aubépine, jacinthe d'eau et héliotrope pour le coeur floral  léger. J'avais l'image des ces bosquets d'aubépine en fleur au tout début de printemps qui ne durent que quelques jours et embaument les prairies d'une douce odeur suave et entêtante. Et pour le fond: du foin, flouve, fève tonka et de la mousse. La flouve étant une herbe sauvage très chargée en coumarine à l'odeur douce de foin sec. Enfin, il y a une belle note d'iris qui lie le tout comme un fil conducteur. 
Deux matières synthétiques essentiellement sont mises en valeur: l'anysaldéhyde aux accents de mimosa anisé et l'ambrettolide un musc un peu vert qui rappelle l'ambrette et aussi l'angélique par moment. Quelques ionones forcément soutiennent la violette et une touche plus sale de crésols et de notes animales évoquent la terre, le cuir et la mousse. 
  
Il y a d'abord eu plusieurs versions appelées Fleurs du ruisseau, avant d'aboutir au parfum final et de me lancer dans l'aventure d'une petite production.  Sans formation formelle en parfumerie et dans l'art de composer, il m'a fallu beaucoup de tâtonnement, une part de chance et faire appel à mon intuition et à tout ce que j'avais pu lire, sentir auparavant pour inventer ce parfum. Et puis j'ai eu la chance tout au long d'avoir un panel de testeurs prestigieux, confrères blogueurs, parfumistas émérites qui ont bien voulu jeter une narine sur mes touilleries et donner leur avis éclairé qui chaque fois m'a aiguillé sur le chemin de la création. C'est toujours un honneur de faire sentir à des professionnels une petite chose que l'on a concocté dans sa cuisine, et encore plus quand ils sont séduits. 
La magie a également opérée quand en passant de l'essai à la production finale, le changement de qualité en matières premières a modifié et embelli tout le parfum : l'iris beurré que j'y ai ajouté a fait des merveilles et me ravi encore chaque fois que je le sens. Ce qui n'était pas prévu mais qui finalement me rempli de fierté, c'est cette ambiance vintage de parfum ancien que l'on perçoit dès l'ouverture. 
Mais je crois que la claque majeure, ce fût de sentir pour la première fois L’Eau de Merzhin fraichement mise en flacon, sur une amie qui l'a de suite adopté. Quel sentiment étrange de côtoyer son bébé porté par quelqu'un d'autre. Parfois bien sûr c'est affreux, je ne vois que des défauts, et d'autres je n'en reviens pas : c'est moi qui ai fait ça?
Bref, je suis sur un petit nuage depuis le début et il s'avère que je ne suis pas prêt de redescendre. 


L'Eau de Merzhin est disponible en flacons de 50 (90€). Pour celles et ceux qui voudraient le découvrir, merci de me contacter à cette adresse: anatole.lebreton@gmail.com
Je peux également envoyer des échantillons.

Le nouveau flacon : 

vendredi 15 février 2013

A bas l'oud !


S'il y a  une note qui a déferlé sur le marché de la parfumerie sélective et envahit les étals c'est bien l'oud.
Et vous savez quoi ? Nous, parfumistas ultra chics et de bon gout : on n'en peut plus ! 

Sentant tous plus (ou moins) mauvais les uns que les autres, sans  finesse ni originalité, ultra synthétiques pour la plupart, la déferlante a fini par détourner les plus addicts de boisé intense et animal, lassés d'être pris pour des gogos. Car il suffit d'un rapide calcul vu la rareté de la chose et son prix (aux alentours de 10 000€ le kilo) pour comprendre qu'ils ne sont pas nombreux ceux qui utilisent du réel oud et souvent en traces homéopathiques. 
Alors, c'est quoi le oud? 
Concrètement, un mélange de notes animales, de différents bois qui vont finalement donner une impression : des matières synthétiques comme les crésols, le karanal alias bois qui pique, de l'ambroxan ; des matières naturelles : patchouli, cypriol, baume de gurjum, cade pour la facette fumée, de la civette en reconstitution et du castoreum. Le tout bien mélangé, et voilà !
Plus simple encore, de nouvelles bases ont été mises sur le marché il y a quelques années et ce sont surtout elles que l'on reconnait partout (Black oud chez IFF, black agar chez Givaudan par exemple ). Rien de nouveau sous le soleil des reconstitutions à moindre cout, mais quand la simple évocation de cette matière suffit à faire grimper le prix du flacon, on finit par sentir rouge ! 

Le véritable oud d'ailleurs est déjà une base, un mélange et la matière pure est quasi impossible à obtenir. Issue de la décomposition d'un arbre en voie de disparition par un champignon toxique, il s'agit d'une pourriture odorante qui dégage un fumet boisé, fumé, miellé, cuiré et animal aux accents de manchego oublié au soleil et de bétadine sur plaie suintante. Il est produit au Laos et en Thaïlande notamment où la production est très réglementée. Fini le temps où le fermier récoltait son oud sur des arbres sauvages, des champs d'arbres ont remplacé la récolte en forêt et encore, cultiver l'infection est un art très difficile et peu rentable en terme de quantité. 
Les copeaux de bois infectés sont traditionnellement utilisés en fumigation comme un encens ou réduit sous forme d'attars huileux et utilisé pour ses propriétés calmantes et méditatives de l'Inde aux déserts d'Arabie.

En Europe, il a fait son apparition il y a une dizaine d'années, on se souvient de M7 et de sa publicité épicée, première incursion exotique de la note dans un parfum occidental. Pendant longtemps nous avions Montale, la maison sise rue de la paix à Paris qui dégageait de loin un fumet des plus envahissant, pas vraiment de la dentelle olfactive, mais d'une puissance inédite et qui attirait les téméraires. Puis la chose a semblé s'emballer, on a cru un moment que le soufflé allait retomber mais force est de constater que la mode dure. 
Le oud est devenu le 4x4 de la parfumerie, le faux Vuitton ou le sac Guess à paillettes, soit le degré zéro de l'imagination de marketeux de niche qui ont flairé la manne et qui s'enlisent dans  ces sorties en rafale. 

Pour le client : un vague attrait moyen oriental, un dépaysement à bon prix (enfin, façon de parler ...) Pour le vendeur, une excuse : les moyens orientaux en sont dingues. Sauf que je me suis laissé dire qu'ils sont loin d'être dupe et n'en veulent pas particulièrement de ces ersatz. Quand on a senti le bois brûler dans les maisons depuis son enfance, ce n'est pas ces jus chimiques vendus comme le Graal qui suscitent l'attrait, on rêve d'un autre genre de dépaysement et de richesse olfactive. C'est d'ailleurs bien pour cette raison qu'une maison comme Amouage venue du sultannat d'Oman préfère sortir des parfums, certes jamais de petites choses éthérées, mais pas spécialement portés sur le oud si l'on excepte les attars. 
Et que dire de la mode qui consiste à nommer son nouveau parfum oud-filltheblanks, comme si la simple mention de la matière suffisait à donner de la valeur. Il n'y a plus rien de traditionnel là-dedans, au contraire ça sent fort la stratégie commerciale encore une fois.
Mais j'arrête là, c'est dit et  il fallait que ça sorte. 

Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans cette déferlante et j'ai senti des choses merveilleuses, Leather oud chez Dior est un de mes préférés et celui de Mona di Orio malgré un prix stratosphérique, d'une beauté sans pareille. Et tant qu'à faire, j'aime sniffer l'attar acheté à prix d'or au fin fond d'une boutique indienne à une véritable passionnée qui allait chercher ses fioles directement sur place pour être sûre de la qualité de ses huiles et rire ensuite de la mine de parisiens reculant d'effroi en sentant la bête en flacon. 
Simplement le trop est l'ennemi du bon parait-il, n'en avons-nous pas la preuve une nouvelle fois ?


Photo: coupe d'arbre infecté. 

jeudi 31 janvier 2013

Cartier: L'heure vertueuse


Il y a des billets qu'on pense écrire mais qu'on repousse,  intimidé sans doute parce que l'on a à faire à forte partie, un mythe par exemple sur lequel il est difficile de rajouter un mot qui pourrait être de trop. Parfois aussi c'est l’extrême nouveauté et la maestria qui me cloue le nez. J'ai tellement d'admiration pour le travail de certains parfumeurs et certains parfums qui me touchent profondément qu'il est difficile d'en parler et de mettre des mots. Je n'aborderait sans doute donc jamais le cas de l'Heure fougueuse  parce que finalement je n'ai sans doute rien à en dire, simplement à l'habiter et y vivre. Mais l'occasion de la sortie d'une nouvelle heure de Cartier m'incite à livrer ici ma joie intense à découvrir une nouvelle facette de cette collection qui répond parfaitement à l'idée qu'on peut se faire d'une Haute Parfumerie. 


Ça commence par une brassée d'herbe fraiche coupée à la faux:  luzerne, trèfle, mêlée de menthe pouliot, de mélilot et quelques fleurs de coquelicot qui trainent.
Vert vert vert,  décoiffant, rafraichissant, le croquant, la sève et le jus de blé.
Puis la lavande, plutôt lavandin ou même aspic, la sauvage  qui pousse à flancs de coteaux, plus camphrée et herbacée que sa cousine noble, tige  plutôt que fleur donc.  Et les terpènes magiques des aromathérapeutes aux doux noms en ol: cinéol, linalol, terpineol font la farandole avec les notes d'herbes verte coupée (cis 3 hexenol en tête, stemone pourquoi pas pharaonne).
Forcément c'est le printemps, la Corse juste après l'ondée, quelque chose là-dedans me rappelle la feuille fraiche de l'immortelle, subtilement épicée voire anisée ou la feuille de tomate par moments.
Ensuite un effet un peu cotonneux assouplit  ce qui aurait pu virer jardin des aromates, la note verveine et son côté citron confit dure et fruite un peu le tout, une touche  fruitée qui tend vers la rhubarbe d'ailleurs. Un joli contraste entre l'amer des herbes et l'acide du fruit. 

C'est une Cologne ultra moderne élevée au rang de parfum, anoblie dirait-on parce que cette heure vertueuse est bien plus qu'un simple sent-bon.
Soit  la modernisation  d'un accord hyper classique, la lavande vanille alla Pour un Homme: Au diable vanille, civette qui salissaient et pervertissaient Jicky, l'heure n'est pas à la petite vertu, c'est du propre que l'on veut. Ou, Eau fraiche années 70 qui a perdu sa mousse et son boisé pour rester limpide et juteuse tout au long. Bref du grand art encore une fois, dans cette collection époustouflante, par une Mathilde Laurent décidément sorcière, de celles qui trop talentueuses, en d'autres temps auraient fini sur un bucher. Mais les temps ont bien changé et la délicatesse, la sensibilité peuvent s'exprimer sans ambages.


Photo: herbe vert rosée.


vendredi 18 janvier 2013

Nouveautés Lubin: Akkad, Galaad et Korrigan.


La maison Lubin établie en 1798 comme mentionné sur l'emballage est l'une des plus anciennes maisons de parfum,  qui parfuma les empereurs et les rois avant de consentir à embaumer des décolletés plus populaires. Elle fut sauvée des limbes il y a quelques années en ranimant de vieilles gloires aux portes de l'oubli : Nuit de Longchamp est un monument  remis au gout du jour avec éclat en 2008, même si évidemment j'ai un faible pour les versions vintage que j'ai eu le chance de porter, la fraicheur de la tête actuelle est un bonheur. D'autres coups d'éclats suivirent : L, L'Eau neuve et Idole autant de noms qui ont fait sa renommée au siècle précédent et perpétuent en beauté la tradition.
Mais pour une maison au passé vénérable telle que Lubin, le défi n'est pas vraiment dans l'histoire, il se situe plutôt du côté de l'avenir. Comment aborder le futur, évoluer et étoffer un catalogue déjà prestigieux sans perdre son âme ?
Lubin y répond cette fois en sortant trois nouveautés d'un coup et en explorant d'autres voies, celles de l'histoire légendaire et des civilisations anciennes avec cette nouvelle collection "Talismania" qui rejoint les lignes classiques. 

Nous voyageons donc en Mésopotamie avec Akaad, un bel ambre fin et racé, jamais lourd ou écœurant, sec comme le désert, véritable onguent mystique dédié à Ishtar déesse de l'amour et de la guerre. La tête est souriante et lumineuse grâce à la mandarine, les notes de cœur sont particulièrement réussies, l'élémi résineux et l'encens assainissent la base ronde et chaude d'ambre embrasant la peau divinement. Un ambre solaire dirait-on. 

Puis c'est vers le  Moyen âge que nous voguons avec Galaad. J'ai beaucoup de mal je l'avoue à faire le lien entre la potion  épicée assez flottante, et l'imaginaire de quête du Graal et des croisades qui l'a inspiré. J'aurais rêvé d'une myrrhe plus présente et puissante, suintante comme un miel des caravanes ramenant leurs trésors vers les Temples. Ces deux premiers opus, composés par Delphine Thierry augurent pourtant bien et n'ont pas à rougir face aux gloires classiques qui trônent encore à leurs côtés.  

Le dernier, Korrigan est une surprise, un parfum que je qualifierai de gourmand masculin, et un travail très intéressant de Thomas Fontaine (occupé par ailleurs chez Patou à ressusciter d'autres gloires passées) autour du praliné, de la noisette et des bois. 
Les korrigans, que je connais bien, ayant arpenté les landes bretonnes dans ma jeunesse, ont toujours été farceurs et s'ils sortent la nuit cueillir des baies de genièvre et des avelines sauvages (une sorte de ... noisette, on y vient), à sentir ce Lubin, qui rime avec lutin, on les imagine sans mal récoltant dans les arbres magiques celtes des pots de Nutella fondant. Peut-être le whisky bien tourbé distillé en douce par ces facétieux lutins m'est-il monté à la tête mais pourtant c'est net je sens la pâte de noisette et la crème de whisky : l'ambrette aux facettes musquées et fruit à coque n'y est pas étrangère sans doute, et l'inflexion crémeuse de la lavande non plus. Le fond est à peine plus sec, le fondant lactonique saupoudré de pyrazines (à l'odeur de noisette grillée)  laissant la place à des bois  et du cuir. Ce fond est un peu plus convenu, on n'échappe pas au "bois qui pique" de style karanal, et j'aurais aimé rester dans un pub à siroter de la Coreff stout, foi de breton. Nous aurions pu causer du oud mentionné dans la pyramide, ça n'existe  pas ça chez les irréductible gaulois : ils aiment la mousse de chêne gastou !
Mais je conçoit l'idée que la mousse tant aimée c'est du passé, et que la mode est à l'oud tout en priant  pour que ce ne soit pas ce qui nous attend désormais.  


Quoi qu'il en soit, Gilles Thévenin, propriétaire de la marque, ose et parie sur l'avenir après avoir exploré le passé prestigieux de la maison. Le virage amorcé depuis Black Jade  est habilement négocié, là où d'autres se sont quasi suicidés en sortant de pseudo modernités bâclées à la chaine (oui, c'est à Robert Piguet que je pense).
Et pour ne rien gâcher, les flacons sont superbes, de très beaux objets mi art déco mi art premier. C'est Serge Manssau qui les a dessinés en s'inspirant du premier flacon d'Idole, une ligne épurée et courbe rappelant un totem  ou les statues de l'île de Pâques, coiffé d'un bouchon qui semble fait d'ambre (la concrétion résineuse pas la matière de parfumerie cette fois-ci !). Couchez donc le flacon et vous découvrirez également la ligne raffinée des bolides Bugatti "Atlantis" des années 30.  


Parisiens, rendez donc visite à Antonio chez Maria-Antoinette, place du Marché Sainte Catherine pour les découvrir, vous y serez royalement reçu! 
(Disponibles également chez jovoy ou carrément à la jolie boutique Lubin rue des Canettes dans le 6ème)
Photo: Françoise Rosay immortalisée par Clarence Sinclair Bull, flacon d'Akkad.